[Affaire Lactalis] : ENTRETIEN avec Christophe Devins, PDG et co-fondateur d’Adents

Le couac du retrait des laits infantiles de Lactalis aurait-il pu être évité si les grandes surfaces et industriels de l’agroalimentaire utilisaient la sérialisation, une traçabilité unitaire des produits bientôt obligatoire pour les médicaments ? C’est la conviction de Christophe Devins, PDG et co-fondateur d’Adents, éditeur de logiciels d’identification et de traçabilité unitaire.

L’Usine Nouvelle – Comment sont équipées les grandes surfaces pour gérer des retraits de produits ? 

Christophe Devins – Il s’agit d’une opération manuelle. Dès réception de l’alerte, les produits sont retirés des stocks et des rayons par une lecture visuelle des numéros de lots indiqués sur les étiquettes des cartons. Lorsque les produits ont déjà été déballés et mis en rayon, la seule solution est de lire le numéro de lot sur chaque produit pour vérifier si celui-ci fait partie du rappel ou pas.

Qu’aurait changé un dispositif de sérialisation ? 

La sérialisation est une solution de traçabilité unitaire extrêmement efficace. Elle permet d’associer au produit de nombreuses informations dont le numéro de lot et les informations logistiques. Ces informations sont contenues dans un code, qui est scanné par des opérateurs à chaque étape de la chaine logistique. Le fabricant peut ainsi savoir combien de boites de tel produit et de tel lot ont été expédiées mais aussi et surtout à qui. Il peut donc circonscrire de façon très précise quel distributeur est impacté par un lot défectueux et combien de produits celui-ci a reçu. Autre avantage majeur, en scannant le code via son smartphone, le consommateur peut vérifier si les produits qu’il possède déjà sont impactés par l’alerte sanitaire.

La sérialisation sera obligatoire dès l’an prochain pour l’industrie pharmaceutique européenne, mais en priorité pour lutter contre la contrefaçon des médicaments. En quoi le retrait de produits sera-t-il facilité dans les pharmacies ?

L’industrie pharmaceutique a été un cran plus loin, avec la mise en place d’une base de données européenne alimentée par l’ensemble des laboratoires et contenant des milliards d’unités. Dans les pharmacies, chaque médicament délivré au patient sera vérifié pour contrôler en temps réel son authenticité mais également sa conformité. Il sera donc impossible de délivrer un produit concerné par un rappel de lot.

Tracer à l’unité et non plus au lot demanderait de revoir tous les process industriels et les sites de l’industrie agroalimentaire, mais aussi toute la logistique de la grande distribution ?

Il existe plusieurs possibilités pour implémenter la sérialisation et dans la majorité des cas cela s’intègre parfaitement sur des process de lignes existants. Quant au flux logistiques, ils sont aujourd’hui massivement standardisés et informatisés, et donc en mesure de traiter ce type d’informations.

Quelle fourchette d’investissements cela implique pour une entreprise ? 

Le coût varie selon les volumes de produits. L’impact va du centime à quelques centimes par produit. Ces investissements intègrent également des retours sur investissement. La sérialisation est une forme d’assurance et de garantie pour le consommateur mais aussi pour la marque un moyen de communication direct avec ses consommateurs. Les immenses quantités de données issues de la traçabilité unitaire ouvrent de nouvelles opportunités business aux industriels grâce aux nouvelles technologies, telle que l’intelligence artificielle.

Un projet de législation est-il en cours à l’échelle européenne pour l’imposer à l’alimentaire?

De nombreux pays s’interrogent sur une extension de la règlementation aux produits infantiles. La sérialisation a déjà été évoquée par certains pays.

Combien de consommateurs utilisent votre application mobile? 

Nos clients conservent ces informations confidentielles. Tous ayant une présence internationale, on peut estimer qu’il s’agit de centaines de millions de produits pour certains d’entre eux. Quelques uns ont d’ailleurs déjà procédé à des rappels produits avec succès.

Quelles autres industries ou grands groupes ont déjà fait appel à ces solutions, en dehors de la pharmacie ? 

Certains grands groupes cosmétiques utilisent la sérialisation depuis de nombreuses années, mais aujourd’hui les demandes que nous recevons concernent des marchés tels que l’agroalimentaire, les spiritueux, le manufacturing, l’automobile…

Certains pays sont-ils plus en avance que la France pour le rappel de lots dans l’alimentaire ? 

Aujourd’hui la maîtrise d’un rappel produit dépend plus de l’entreprise que du pays dans lequel les produits sont vendus. Les processus d’alerte de la DGCCRF en France fonctionne parfaitement. La mise en œuvre des procédures de rappels est plus difficile. Le nombre d’acteurs impliqués se chiffre en milliers, voire en dizaines de milliers, et sans une parfaite maîtrise du circuit de distribution, l’opération est très complexe.

Propos recueillis par Gaëlle Fleitour

Les géants du lait infantile se préparent à la sérialisation

« Avec une bonne solution de sérialisation, aucun lot concerné par un rappel ne peut être vendu », assure le directeur général d’Adents, Stéphane Fay, à Emballages Magazine. L’entreprise a-t-elle été contactée par Lactalis ? Probablement… Car dès 2016, Adents et son concurrent OCS Checkweighers affirmaient au magazine Process Alimentaire que plusieurs industriels de la poudre de lait infantile les avaient approchés. « Nous avons déjà réalisé des tests de codage laser de codes unitaires au fond de boîtes de lait. Un de nos clients du baby-food a même prévu la place sur sa ligne pour installer le matériel de sérialisation », confirme aujourd’hui OCS Checkweighers, à Process Alimentaire. Pour autant, aucun industriel du secteur n’est encore totalement opérationnel sur cette technologie.

 

Source : https://www.usinenouvelle.com